‘Aujourd’hui 2 novembre 1943, fête de la Toussaint, j’ai ouvert le colis de vêtements reçus hier d’Allemagne, écrit Eugénie Regout dans son journal intime.
‘Les vêtements de notre cher Beis, je les avais déjà aperçus vendredi passé. Et, ironie du sort, ils avaient été entreposés au Ministère du Waterstaat où, il y a trente ans, nous entrions fièrement dans le bureau de notre père. Le colis se trouvait maintenant sous le portrait de notre ennemi (Hitler).
Ce soir, à la maison, j’ai tout déballé. Au-dessus le pardessus et le chapeau noirs, tous deux en parfait état. Ils avaient été rarement portés ces dernières années. Puis le veston de son costume noir anglais. Que ce veston était en mauvais état ! Robert, toujours tiré à quatre épingles, jamais une tâche que nous devions nettoyer. Aujourd’hui ce veston était plus rouge que noir : reflets rouges, tâches rouges, manches et revers piqués d’une façon grossière, une tache sur le devant grande comme une pièce de 2 et 1/2 cents, troué et recousu. Rabat de prêtre et col, pantalon noir. Des souliers aux talons quasiment neufs. Puis les sous-vêtements, mis de côté tels qu’ils avaient servi. J’en conclus que ces vêtements n’avaient plus été portés après juillet 1941, donc depuis son arrivée à Dachau.
Robert REGOUT S.J. 1896 - 1942
Puis, quelques pages, écrites minutieusement par Beis, des annotations sur toutes les lettres et colis jusqu’au 6 juillet 1941. Ainsi que son bréviaire, mais je crains, - maintenant que je le regarde attentivement– qu’il n’a plus lu ce dernier à Dachau.
Je remballe les vêtements. J’enlève les boutons de manchette de la chemise ; le rabat de prêtre je veux le garder ici à la maison. Tout le reste je l’enverrai aux confrères jésuites de Beis. Ensuite, nous pourrons alors partager entre nous, les souvenirs qui nous restent. Je garde précieusement les lettres de Beis. J’espère pouvoir les rendre bientôt à maman quand j’irai à la Haye.’
De qui parle Eugénie Regout dans cette lettre émouvante ?
De son frère Robert, jésuite, déporté et mort en captivité à Dachau le 28 décembre 1942, pendant la guerre 1940-1945.
‘Beys’ de son surnom, 5e enfant (sur 9) et 2e fils de Louis II Regout et de Wilhelmina Joanna Everard est né en 1896 à Maastricht. Il fit ses études à Katwijk au collège St Willibrordus, dirigé par les jésuites
Robert fut un élève moyen, ni très bon ni très mauvais. Il participait aux activités sportives et jouait dans des pièces théâtrales organisées au collège. C’est de cette époque que datent les premiers appels de Dieu, qu’il repoussa dans un premier temps. Mais c’est à 17 ans qu’il envisagea sérieusement de s’engager dans la Compagnie de Jésus. Son père, le trouvant un peu jeune pour prendre une si grave décision, le convainquit de reporter son choix après des études universitaires. L’université d’Utrecht accueillit donc le jeune Robert puis l’université de Leiden. En novembre 1914, il décrocha une licence de Droit International. Il étudia également la philosophie et la théologie.
Il fut ordonné prêtre le 15 août 1927 dans la cathédrale St Servais à Maastricht.
Ses nombreux écrits en faveur des Droits des Peuples en firent bientôt un spécialiste unanimement reconnu en Europe et même aux Etats Unis. Il avait foi en la Société des Nations pour pacifier les rapports entre les états.
Quand éclata la guerre de 1940 et que l’Allemagne envahit les Pays Bas et la Belgique, il était professeur de Droit International à l’université de Nimègue. Les allemands n’apprécièrent pas du tout les positions que Robert défendait dans un écrit ‘ La situation du Droit en territoire occupé.’. Rappeler à l’occupant ses droits et ses devoirs n’était pas sans risque. Il fut arrêté et déporté en Allemagne. Emprisonné à Dachau, il soutint le moral de ses compagnons de captivité par un courage exemplaire. Mais astreint à des travaux épuisants, il tomba malade. Ses compagnons de captivité tentèrent de le soigner. En vain.
Son calvaire se termina le 28 décembre 1942. On n’a jamais retrouvé son corps. Il avait 46 ans…
Bim (Edouard) Regout
Association Familiale REGOUT a.s.b.l.